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Poudrerie Philippe Auguste

 

Il y a 150 ans : La Poudrerie "Philippe Auguste" à Paris

 

La capitulation de Napoléon III à Sedan le 2 septembre 1870 entraîne dès le 4 septembre la proclamation de la République…  mais n'arrête  pas la marche des armées prussiennes qui investissent Paris à partir du 17 septembre.

Le 5 octobre est prise la décision de créer dans la capitale une fabrique de poudres  pour l'approvisionnement en munitions des canons des forts de la ceinture et des fusils des troupes de défense, avec pour objectif la mise en route le 2 novembre, soit un délai de 4 semaines seulement…

Sous la conduite de Gustave Maurouard; directeur des Poudres et Salpêtres, qui avait été chargé en 1868 de concevoir et construire une nouvelle poudrerie à Sevran et en avait déjà réalisé les études préliminaires, la mise en place des bâtiments et équipements, a été réalisée en un temps record, et la production a effectivement démarré dès le 2 novembre  !

Implantation de la Poudrerie "Philippe Auguste"

Le terrain choisi pour l'implantation se trouvait avenue Philippe-Auguste et quelques terrains non bâtis l'environnant, sur une emprise totale de 6,5 ha. Il ne fut mis à disposition des entreprises que le 15 octobre, ne laissant que 17 jours de travail effectif sur le site pour réaliser les constructions et mettre en place tout le matériel.

Il est particulièrement remarquable qu'un ensemble aussi complexe, qui comportait un mur d'enceinte, plus de 60 bâtiments, et près d'une cinquantaine d'équipements mécaniques majeurs pour la fabrication, ait pu être construit dans un délai aussi réduit  malgré les restrictions de tous ordres apportées par le siège.

 

Fabrication de la poudre noire

La poudre noire est un mélange intime, dans des proportions pouvant légèrement varier suivant les usages, d'un oxydant, le salpêtre - nom usuel du nitrate de potassium - et de deux produits combustibles, le soufre et le charbon de bois. Le principe de sa production est resté le même au cours des siècles bien que les appareils utilisés aient évolué avec les progrès techniques, notamment au 19e siècle.

Zone de Texte:  Atelier de tonnes binairesMême s'il existe des variantes, le procédé habituel pour la poudre de guerre comprend les étapes suivantes :

  • - après broyage séparé des différents constituants, on réalise deux mélanges "binaires", salpêtre/charbon et soufre/charbon, qui n'ont pas encore de caractère explosif   
  • - on mélange ensuite les deux binaires pour réaliser un mélange "ternaire", une poudre très fine qui, elle, est explosive, et même trop sensible pour être utilisée sous cette forme dans les armes
  • - ce "poussier" est alors comprimé pour former des "galettes" de quelques kg, soit à la meule, soit à la presseZone de Texte:  Tonne de lissage
  • - les galettes sont fragmentées en morceaux avec un maillet, puis passées dans un "grenoir" pour obtenir des grains à la taille désirée.
  • - après tamisage pour élimer les grains trop gros ou trop fins (qui repassent à l'étape "galettes"), la poudre passe au "lissage" qui permet d'éliminer les parties anguleuses des grains de poudre et de les durcir, ce qui facilite ensuite leur conservation et leur glissement lors du chargement des munitions.
  • - un séchage final permet ensuite d'amener la poudre à un pourcentage d'humidité de l'ordre de 0,5 % avant encaissage

C'est donc un procédé complexe - encore utilisé de nos jours dans la Poudrerie de Vonges près de Dijon, nécessitant de nombreuses opérations et des appareillages très divers.

Zone de Texte:  Grains de poudre noire

 

 

 

Installations

La réalisation d'une usine complète en respectant un délai aussi court,n'a pu être obtenue que par l'utilisation de modes de construction et de procédés adaptés à l'urgence :

- murs forts de protection constitués de coffrages en chêne avec remplissage de terre damée beaucoup plus rapides à construire qu'en maçonnerie,

- choix d'une composition de poudre unique adaptée tant aux canons qu'aux fusils,

- presses hydrauliques du commerce pour la constitution des galettes de poudre, et non des meules dont la construction aurait été beaucoup trop longue, voire impossible avec les moyens alos disponibles à Paris,

- grenoirs à cylindre plus efficaces que les habituels grenoirs à "gobilles" (boules en bois dur permettant de fractionner la galette en grains par des chocs répétés), avec, pour diminuer les manutentions, tamisage en sortie séparant directement les gros grains pour la poudre à canon, les grains moyens pour la poudre à fusil, et les "fines" qui étaient recyclées,

- tonnes de lissage avec séchage par la chaleur dégagée au cours du frottement des grains de poudre les uns sur les autres, permettant de raccourcir la durée du cycle de production et les manutentions, etc...

Au total ont été ainsi mis en place : 8 tonnes pour la constitution des mélanges binaires et autant pour les mélanges ternaires, 10 presses, 4 grenoirs à cylindres avec tamis et 8 tonnes de lissage, plus de nombreux petits matériels annexes pour le stockage, la manutention, le contrôle et l'expédition des matières premières, produits intermédiaires et poudres terminées.

C'était également la première fois en France que des machines à vapeur (7 au total, d'une puissance globale de 80 à 90 CV), étaient utilisées, à la place de l'énergie hydraulique, pour actionner les différents appareils de fabrication. Pour des raisons de sécurité, elles étaient implantées à l'écart des bâtiments de production avec transmission télémécanique de la force motrice.

 

Plan de la Poudrerie

 

La construction des bâtiments et des équipements a été réalisée par des entreprises parisiennes, en particulier les établissements Guillotin, installés rue de Lourmel (15e) pour les travaux publics, et Le Blanc - rue du Rendez-Vous (12e) pour l'appareillage mécanique (tonnes, grenoirs…).

 

Matières premières

Il fallut bien sûr organiser l'approvisionnement en matières premières : nitrate de potassium, charbon de bois et soufre, utilisés dans les proportions respectives de 76/14/10 pour la formulation retenue, proche de celle utilisée habituellement pour le fusil Chassepot.

Pour le nitrate de potassium, tous les stocks existants de produits contenant de l'acide nitrique et de la potasse furent réquisitionnés. La potasse était également obtenue par lessivage des cendres de feux de bois, recueillies notamment dans les bivouacs des troupes stationnées autour de Paris. Après traitement de purification des constituants, le nitrate de potassium provenait d'une double décomposition, dans un premier temps de nitrate de soude et de chlorure de potassium, par la suite d'acide nitrique et de carbonate de potassium.

Le charbon de bois a été obtenu à partir de la carbonisation/distillation de bois blanc prélevé sur des stocks existants. Des stocks de soufre en quantité suffisante ont été trouvés dans un établissement de Saint Denis.

Les opérations préliminaires de fabrication du nitrate de potassium, de carbonisation du bois et de purification du soufre, ainsi que leur préparation initiale (broyage, tamisage, contrôle…) ont été effectuées dans divers établissements existant à Paris ou dans les environs immédiats.

 

Productions réalisées

Il est à signaler que dès le début du mois de septembre et dans l'attente du démarrage de la fabrication de poudre noire, ont été produites en octobre 1870 dans des usines chimiques préexistant dans Paris, près de 85 t de coton-poudre pour le chargement des obus d'artillerie, et même un peu de dynamite pour des travaux de démolition. Toutefois ces productions ne furent pas poursuivies après la mise en route de la poudrerie car les conditions de sécurité étaient très insuffisantes et plusieurs accidents furent à déplorer.

Dans la Poudrerie "Philippe Auguste", les productions de poudre ont commencé dès le 2 novembre, et atteignirent rapidement la cadence nominale de 7 t/j, avec une qualité en tous points comparable à la poudre de référence (voir tableau ci-dessous).

 

La poudrerie fonctionna ensuite sans aucun incident jusqu'à l'armistice du 28 janvier 1871, produisant au cours de cette courte période environ 200 t de poudre à canon et 115 t de poudre à fusil.

Zone de Texte:  Vue de la cartoucherie Rapp après l'explosionLa poudrerie a ensuite été rapidement démolie, une partie des équipements a cependant été réutilisée dans la poudrerie de Sevran, finalement construite en 1873.

La poudre était notamment utilisée dans une cartoucherie Avenue Rapp, qui fut complètement détruite après l'armistice, le 17 mai 1871, par une explosion (accident ou attentat... ?) ayant fait plus de 40 morts.

 

 

 

 

 

Zone de Texte:  Explosion de Grenelle – gravure d'époque -La réussite exemplaire de la Poudrerie Philippe Auguste ne doit cependant pas effacer de la mémoire des Parisiens l'expérience malheureuse survenue ¾ de siècle auparavant, le 31 août 1794 : ce jour là explosait la Poudrerie "révolutionnaire" de la plaine de Grenelle, dont la construction avait été décidée au mois de janvier précédent par le Comité de Salut Public, et qui avait démarré ses productions en avril. Cette catastrophe industrielle fit en effet plus de 500 morts et des milliers de blessés, et reste la plus meurtrière qu'ait connu la France après celle de la mine de Courrières en 1906

 

 

 

 

Sources :

Gustave Maurouard  (Mémorial des Poudres et Salpêtres – T2 – 1884-89)

Thomas Le Roux – Le laboratoire des pollutions industrielles, Paris 1770-1830 (Albin Michel-2011)


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